Au Rassemblement étudiant des 7 et 8 mai derniers, les associations étudiantes en présence ont adopté aux deux-tiers une résolution affirmant que « l’opposition à la hausse des frais de scolarité n’est pas négociable ». La proposition précisait également que ni l’impôt postuniversitaire (IPU), ni le remboursement proportionnel au revenu (RPR) ne constituent « des mesures palliatives acceptables » à la hausse des frais. Le rejet de ces « alternatives » est révélateur : les frais de scolarité ne se résument pas à une question pragmatique d’accessibilité, ils en appellent à une question de principes, que ni l’IPU, ni le RPR ne peuvent résoudre.
L’impôt postuniversitaire, version modifiée du RPR du fervent défenseur du libéralisme économique Milton Friedman, est un système qui consiste à imposer tout diplômé universitaire à un pourcentage supplémentaire une fois celui-ci admis sur le marché du travail (que son emploi soit relié à son domaine d’études ou non) et ce, sur toute sa vie active. Les sommes ainsi récoltées sont alors directement réinvesties dans un fonds réservé au financement du système d’éducation.
Une mesure progressiste ?
Bien qu’une telle mesure puisse (car rien ne le garantit dans les faits) prévoir que la part de financement assumée par chaque individu varie selon ses revenus effectifs, il reste que les coûts sont endossés par une part spécifique de la population, soit les gens qui auront fréquenté les établissements d’éducation postsecondaire. On évacue ainsi l’idée que l’éducation soit un bien collectif profitable à tous et toutes et que nos institutions universitaires aient pour mission fondamentale de transmettre et de diffuser le savoir, au profit de la conception d’une éducation comme investissement personnel. En ce sens, l’IPU et la hausse des frais de scolarité partagent une prémisse commune : celle du principe de l’utilisateur-payeur grâce auquel l’État justifie, en même temps qu’il sollicite toujours davantage la contribution individuelle, son propre désinvestissement dans les services publics.
L’université au service du marché
Dans une étude sur le RPR commandée par le CIRANO (Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations), Claude Montmarquette (signataire du Manifeste pour un Québec lucide) souligne qu’un tel système « permet une plus grande efficacité dans les choix éducationnels des étudiants, en resserrant les liens entre le marché du travail et le secteur de l’éducation ». Il en va de même pour l’IPU, qui encourage l’individu à privilégier les domaines dits rentables (santé, sciences pures et appliquées, ingénierie, etc.) au détriment des secteurs dont les débouchés restent incertains (sciences humaines et sociales, arts et lettres, etc.). Autrement dit, le calcul coûts bénéfices que stimule une telle mesure n’a d’autre conséquence que de substituer les impératifs du marché à l’appétit du connaître qui devrait, en première instance, motiver le choix de l’individu.
Des diplômes à rabais ?
Dans un autre ordre d’idées, on peut soupçonner qu’une telle mesure encouragera les universités à niveler leurs exigences académiques vers le bas. En effet, si seule-s les diplômé-e-s universitaires sont soumis et soumises à ce point d’imposition supplémentaire, il est concevable que les administrations, afin de gonfler leur financement, s’affairent à décerner un plus grand nombre de diplômes en abaissant le niveau des compétences requises à leur obtention.
Refuser l’option du moindre mal
Si certain-e-s vantent l’IPU en clamant qu’il offre une alternative viable à l’augmentation des frais de scolarité en maintenant l’accessibilité aux études et en assurant que tous et toutes paient leur « juste part », on peut bien se permettre de questionner leur bonne foi. D’une part, l’IPU est une forme, bien qu’étalée dans le temps, de frais de scolarité. Or, si l’on se souvient que le gel des frais de scolarité n’est en rien une fin en soi, mais plutôt une étape intermédiaire dans notre lutte, la solution que l’on nous propose ici n’en est pas une : elle représente une dégradation de la condition étudiante. D’autre part, le système fiscal québécois, si l’on voulait bien lui apporter les modifications nécessaires, pourrait permettre à tous et toutes de payer leur juste part. Or l’IPU, en tant qu’impôt particulariste, repose sur la prémisse néolibérale voulant que l’éducation soit avant tout un service accordé à l’individu en échange de l’apport monétaire équivalent. Une telle individualisation du rapport à l’éducation évacue d’emblée le fait qu’elle constitue un bien collectif dont les coûts doivent être assumés par l’ensemble de la société.
En somme, l’IPU contribue à faire du débat social – qui devrait ouvrir la voie à des transformations radicales dans notre rapport à l’éducation – un misérable débat de chiffres. Il n’est nullement dans notre intérêt d’accepter, au nom d’un réalisme politique fallacieux, les succédanés que pourrait nous proposer le gouvernement. Bien avant les mesures, ce sont les principes politiques qu’elles sous-tendent que nous remettons en question et, sur ce point, aucun compromis n’est admissible.