La grève : un choix nécessaire

Un vote décisif nous attend. L’hiver prochain, la population étudiante devra décider si elle utilisera, pour bloquer la hausse des frais de scolarité adoptée en avril, son arme la plus puissante : la grève générale illimitée. Une telle décision ne se prend pas à la légère, ainsi faut-il en peser les risques. Deux scénarios s’offrent à nous.

Premier scénario : voter contre la grève générale illimitée lorsqu’elle sera soumise à nos assemblées générales. Si une telle option gagne la faveur d’une majorité d’associations étudiantes, nous aurons la garantie que la nouvelle hausse sera appliquée. Ne nous leurrons pas : le gouvernement Charest n’a visiblement pas l’intention de revenir sur cette décision. Après la multitude de manifestations et d’actions étudiantes des deux dernières années, on ne pourra pas accuser le mouvement étudiant de ne pas avoir tout essayé pour le convaincre, voire le forcer à reculer sur cette décision. Fort de l’appui de toutes les chambres de commerce, des instituts économiques, des chef-fe-s de grandes entreprises et des recteurs et rectrices d’université, le gouvernement s’obstine dans sa position. Il n’est donc plus raisonnable de croire que sans une grève générale illimitée, le gouvernement Charest soit disposé à abandonner ou modifier la hausse de 2012. Il s’agit là d’une vérité, que l’on soit pour ou contre cette hausse.

Deuxième scénario : voter en faveur de la grève générale illimitée dans un nombre suffisant d’associations étudiantes au Québec et ainsi engager un bras de fer contre le gouvernement. S’agirait-il d’une garantie de victoire ? Non. Rien n’est garanti en politique. Entrer en grève implique de risquer l’échec… mais constitue également notre meilleure chance de l’emporter. L’histoire nous montre que, sans être infaillible, la grève générale illimitée est le seul moyen d’action qui ait permis de contrer d’importantes décisions gouvernementales, qui auraient autrement dégradé la condition étudiante. Depuis 1968, neuf grèves étudiantes générales ont eu lieu au Québec, parmi lesquelles sept ont mené à une victoire complète ou au moins satisfaisante pour le mouvement étudiant. Le gel de frais de scolarité pendant plus de 20 ans au Québec (1968-1990), ayant ouvert les portes des universités à des dizaines de milliers d’étudiantes et d’étudiants – dont la majorité des ministres du gouvernement Charest – compte parmi ces victoires.

Cela dit, une grève générale illimitée implique de grands chambardements dans le calendrier académique du Québec et peut, certes, impliquer des désagréments individuels immédiats. Il peut même sembler paradoxal de quitter volontairement les bancs d’école le temps d’une grève alors même que le but est de favoriser l’accession la plus large à ces mêmes bancs d’école. Mais les risques sont moins grands qu’on pourrait le croire a priori. En effet, il n’est jamais arrivé qu’une telle grève entraîne l’annulation de la session de qui que ce soit au Québec. Ce serait impensable pour le gouvernement, de même que pour le « marché du travail » qui attend les diplômée-s. Une grève générale illimitée doit donc déboucher sur des négociations, ce qui constitue sa force particulière. À cela s’ajoute la visibilité qu’une telle mobilisation procure au mouvement étudiant, tant au niveau médiatique qu’au sein de la population étudiante. En outre, la grève libère du temps pour que la population étudiante s’adonne à l’organisation d’actions politiques d’envergure, autrement plus efficaces en temps de grève.

Soyons clairs, on ne fait pas la grève par amour du slogan, mais parce qu’on le juge nécessaire. On ne fait pas la grève – même s’il peut toujours y avoir des gens mal intentionnés – par envie de manquer quelques cours, mais parce que l’on souhaite mettre en commun notre temps pour établir un sérieux rapport de force avec le gouvernement. La population étudiante actuelle n’a pas décidé de faire face à une hausse massive des frais de scolarité en 2012. Le gouvernement l’a imposée. Et l’attaque est telle qu’elle marque un point de nonretour à partir duquel l’éducation sera considérée comme une marchandise pour des générations à venir.

Alors, notre génération baissera-t-elle les bras devant les choix du Parti libéral pour l’éducation de demain, ou prendra-t-elle au contraire le noble risque de la résistance ? Ceux et celles qui penseront éviter cette réflexion en se défilant lors des votes de grèves ou en choisissant une neutralité impossible voteront malgré elles et eux pour l’inertie. Souvenons-nous que nous sommes tous et toutes dans le même bateau, qui tangue dans la tempête. Soit nous continuons à ramer au rythme du tambour, soit nous quittons notre poste et prenons en main le gouvernail. Décidons. Les récifs approchent.